Hommage

Hommage à Alfred Dittgen (1943-2022)

Alfred Dittgen (1943-2022), qui fut notamment Directeur de l’Institut de démographie de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (IDUP) de 1989 à 2000, nous a quittés jeudi 25 août 2022. Il avait 79 ans. Son décès referme un long chapitre de l’histoire de l’Institut de Démographie (IDUP) qu’il aura servi tout au long de sa carrière universitaire.

 

C’est après avoir obtenu une maîtrise de sociologie-urbanisme à l’université de Strasbourg en 1968 qu’il rejoint l’Institut de Démographie de Paris (l’IDP, qui deviendra l’IDUP en 1972 lors de la création de l’Université Paris 1 la même année). Formé par les pères de la discipline (Louis Henry, Roland Pressat notamment), il obtient en 1970 son diplôme d’expert-démographe.

Dès la fin de sa formation, il part en Algérie comme volontaire du service national. Il assure pendant deux années, en qualité d’assistant, des enseignements de démographie à la Faculté des Lettres d’Alger. À son retour en France en 1972, il est recruté comme assistant à l’IDUP. Il va, en marge de son activité d’enseignement, conduire des recherches sur les méthodes d’analyse de la fécondité dans les pays à statistiques imparfaites. Cette thématique constitue l’objet de sa thèse de 3e cycle de démographie, soutenue à l’Université Paris V en 1975. Il est alors promu maître assistant, mais dès l’année suivante, en 1976, il repart en Afrique dans le cadre de la coopération scientifique, en Côte d’Ivoire cette fois-ci.

 

Il assure la fonction de directeur de recherche du Centre ivoirien de recherches économiques et sociales de l’Université de Côte d’Ivoire. Pendant quatre années, il va développer la recherche en démographie, former de nombreux jeunes chercheurs ivoiriens et conduire de nombreux travaux sur la démographie de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique de l’Ouest. Tout au long de ces années 1970, Alfred Dittgen a largement contribué aux travaux novateurs et aux publications du groupe de démographie africaine qui rassemblait des experts venant d’organismes divers comme l’Insee, l’Orstom (ex-IRD) ou encore l’Ined.

En 1980, Alfred Dittgen rentre en France et retrouve ses fonctions de maître assistant à l’IDUP. Il sera promu maître de conférences en 1985 puis professeur des universités en 1996. Il va alors, dans un premier temps, se consacrer aux évolutions démographiques de la France (la fécondité, la nuptialité, l’incidence de la religion sur ces phénomènes, etc.) en privilégiant le « temps long » (de l’Ancien régime à aujourd’hui). Mais la formation de démographe à l’IDUP étant, dès sa création par Alfred Sauvy en 1957, résolument professionnalisante, Alfred Dittgen va développer à partir de 1985 une activité de recherche lui permettant d’adapter les méthodes démographiques à des thématiques et des secteurs d’activité susceptibles de recruter des étudiantsAprès dix années consacrées à l’Afrique, c’est, au sens propre, au pied de son immeuble qu’il va dessiner les contours d’un champ de recherche inédit : la démographie locale. Installé avec sa famille dans la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, il observe au quotidien, d’une part, comment les caractéristiques des logements déterminent les populations et, d’autre part, les conséquences des taux de rotation des ménages sur l’évolution des structures par âge. Il va alors mettre au point une méthode de projections démographiques sous contrainte de logements qui sera développée au fil des nombreuses collaborations qu’il va avoir avec des collectivités locales et des agences d’urbanisme franciliennes. Au gré des partenariats avec ces institutions, de nombreux étudiants seront associés à ses travaux quand d’autres trouveront stages et emplois.

Depuis ses débuts en 1970, Alfred Dittgen aura donc pleinement articulé ses missions d’enseignant et de chercheur. Il a été tout au long de ses années à l’Idup un formidable passeur : des centaines d’étudiants peuvent témoigner de son souci d’expliquer simplement, avec un vocabulaire courant, des phénomènes qui ne peuvent être mesurés qu’à partir de la mobilisation parfois complexe, souvent originale, toujours rigoureuse, d’outils statistiques qui restent abstraits pour le plus grand nombre. Alfred Dittgen aura donc été un ambassadeur important de la démographie, impliqué dans de nombreuses associations académiques, apprécié des étudiants, de ses pairs et des acteurs des collectivités locales (élus, décideurs, techniciens) qui sollicitaient son expertise.

Mais la démographie n’était pas toute la vie d’Alfred. Marié, père de trois enfants, il avait également un intérêt particulier pour l’histoire. Depuis 2005 et son départ en retraite, il se consacrait notamment à l’histoire de sa commune de résidence, Noisy-le-Grand. Et on ne se refait pas : il apportait ces dernières semaines encore les dernières retouches à un ouvrage sur le sujet. Alfred était aussi un infatigable marcheur et les rues de Paris et les chemins d’Île-de-France n’avaient notamment plus guère de secrets pour lui. Mais ce n’est pas lui qui s’en serait vanté : c’était un homme humble, mais un homme de convictions aussi. Il savait écouter mais également faire valoir son point de vue avec courtoisie mais autorité. Son riche parcours professionnel, qui l’aura vu s’intéresser à la fois à un continent lointain et à son environnement géographique proche est seulement le reflet d’une curiosité qui dépassait largement le cadre universitaire. Son exigence pédagogique et son souci du devenir des étudiants n’était qu’une des expressions de sa bienveillance. Et comme tout bon marcheur, Alfred savait se fixer un cap, s’y tenir et avancer à son rythme, avec constance et résolution mais sans négliger, parfois, les chemins de traverse : sa carrière en est une belle illustration.

Alfred Dittgen manque déjà à tous ceux qui l’ont connu.