CIMODYN

Circulations Internationales, MOdes d’habiter et DYNamiques urbaines à Quito et Bogota

Le projet vise à comprendre les effets des circulations internationales sur deux villes latino-américaines d’origine, Bogota et Quito. L’approche s’inscrit dans une lecture des circulations migratoires et de leurs effets sur les modes d’habiter en migration, pour comprendre le rôle des migrants et de leurs entourages sur le changement urbain de deux quartiers que les membres du présent projet ont étudiés dans des recherches antérieures. Cette nouvelle équipe, issue des collaborations au sein de l’ICM, propose un dispositif fondé sur une double approche qualitative et quantitative, qui articule une enquête ethno-géographique et l’analyse de sources d’information existantes, afin d’appréhender :

  1. La place de ces quartiers dans les systèmes migratoires internationaux.
  2. Les circulations matérielles et idéelles entre les membres des entourages de migrants, en particulier celles qui touchent aux modes d’habiter.
  3. Les investissements immobiliers, les représentations et les pratiques de la ville d’entourages de migrants résidant dans ces quartiers.
  • Objectifs

    Sans occulter le rôle des revenus financiers de la migration, des remises et des investissements dans la transformation physique du bâti, nous souhaitons aussi porter le regard sur les différentes conséquences en termes de changements de pratiques spatiales auxquels peuvent contribuer les migrations, parmi d’autres facteurs. Les pratiques spatiales sont influencées par les perceptions et représentations des habitants d’une pluralité de lieux. Nous faisons l’hypothèse, à la suite de nos travaux précédents (Giroud et al., 2014; Cordoba, 2014; Miret et Cordoba, 2015) et selon l’approche des échelles de la mobilité en tant que système (Dureau et Imbert, 2014), que ces deux aspects se modifient au gré des expériences migratoires internationales et notamment des expériences urbaines à l’étranger. Par exemple, des émigrants bogotans de classes aisées ayant résidé dans des villes européennes ont modifié leur regard sur leur ville d’origine et choisissent à leur retour des quartiers centraux pour lieu de résidence, contribuant aux processus de gentrification en cours (Cymbalista et al., 2014 ; Dureau et al., 2016). Ce choix résidentiel contraste avec les normes résidentielles de leur classe sociale d’origine et valorise d’autres aspects de la ville : une certaine forme de mixité sociale en opposition à la ségrégation spatiale qui prime en Amérique latine, la proximité aux offres commerciales et culturelles du centre et la possibilité de se déplacer à pied ou en transports en commun plutôt qu’en automobile. Comment ces représentations circulent-elles et se transposent-elles dans les villes des pays d’origine ? Comment influencent-elles les pratiques des migrants et de leurs entourages, et orientent-elles leurs valorisations de la ville et leurs investissements ?

    Afin d’appréhender la production de l’urbain par les migrants et leur entourage, nous ferons dialoguer la littérature sur « l’habiter » et celle sur les « circulations ». Le paradigme de l’habiter en migrations vise à rassembler les différents éléments de l’expérience spatiale de ces familles inscrites dans un espace transnational (Ceriani-Sebregondi, 2003; Niang, 2014). Cette notion s’inscrit dans un tournant de la géographie au 21e siècle, où le terme habiter acquiert une signification plus large, articulant « pratique des lieux et signification des lieux […] associées aux représentations, valeurs, symboles, imaginaires qui ont pour référent les lieux géographiques » (Stock, 2004). Cette nouvelle vision des rapports au monde des individus et des groupes sociaux permet d’embrasser en un même regard les différents apports de chaque acteur habitant dans sa singularité par rapport à l’espace urbain. « Comprendre les modes d’habiter […] suppose d’analyser comment les individus subissent, affrontent, s’adaptent et inventent leur insertion dans leur environnement » (Morel-Brochet et Ortar, 2012) : pour les migrants, les circulations protéiformes au sein d’un champ migratoire induisent des spécificités de l’habiter que nous souhaitons ici étudier auprès de familles touchées par la migration.

    Si la perspective du retour détermine à première vue les rapports entretenus par les migrants avec les villes de leurs pays d’origine, des travaux récents mettent en évidence la complexité des relations entre retours et liens transnationaux : décalages entre préparation du retour et retours effectifs ; retours temporaires, suivis de ré-émigrations (Lenoël et al., 2020; Flahaux, 2020; Cortes et Faret, 2009. Il nous paraît donc plus pertinent de penser ces phénomènes à travers le paradigme des mobilités et des circulations (Cortes et Faret, 2009). Les transferts matériels ou financiers individuels sont au cœur de la circulation migratoire, aboutissant parfois à l’émergence d’une véritable « industrie de la migration » (De Tapia, 1996; Hernández-León, 2012) au sein de laquelle se détache la branche immobilière, avec des agences immobilières transnationales (Varrel, 2014). Ces remises constituent une source de revenus souvent conséquents pour des familles de migrants, mais elles sont aussi un facteur de nouvelles inégalités. Différents travaux ont aussi étudié par ce prisme de la circulation le rôle des liens forts de solidarité que les émigrants maintiennent malgré la distance avec leurs entourages dans les lieux d’origine. Les filières migratoires sont des réseaux qui permettent aussi la transmission de l’information, de connaissances, de nouvelles idées ou attitudes, des savoir-faire parfois appelés remises « sociales » (Lafleur et Duchesne, 2017), qui jouent un rôle essentiel comme facteurs de changement et de transformation sociale et politique. Une dimension plus récente des études sur la circulation migratoire s’intéresse à l’augmentation des circulations de normes et au maintien de liens à travers les formes de communication à distance (Diminescu, 2005).

    Ces approches invitent à porter au cœur de notre projet l’échelle de la famille et de l’entourage des migrants. Pratiques et représentations circulent et se négocient dans ce cadre. En effet, les investissements des migrants dans leurs pays d’origine, par exemple par l’achat ou la construction de logements, peuvent relever de la construction de « systèmes de protection sociale transnationale » par lesquels les migrants s’efforcent de sécuriser leur position sociale, mais aussi celle de leur famille, dans un contexte de grande incertitude (Palash et Baby‐Collin, 2019). Ce principe peut aussi être vu comme une forme d’organisation en « maisonnées transnationales » (Benarrosh-Orsoni, 2015). Ainsi à Quito, des migrants ont construit de petits immeubles en mutualisant des épargnes familiales, à la fois celles de membres de familles en migration et celles de personnes restées sur place. Ces dernières occupent une partie des logements ; les autres appartements fournissent une rente locative (Perraudin, 2020). Plus largement, les travaux sur la préparation des retours soulignent « la force explicative d’un capital social durablement entretenu et très localisé » (Bréant, 2018) : relations familiales, corésidents, amis, collègues, voisinage. Au cours des parcours migratoires, ces nouveaux entourages extra-familiaux entrent en compte dans les sociabilités. Nous faisons l’hypothèse qu’ils sont tout aussi importants que certains membres de la famille dans la constitution des pratiques de circulation et de l’habiter. L’échelle d’analyse adoptée privilégiera donc le niveau « méso » et inclura autant les personnes en situation de « mobilité » que celles en situation d’« immobilité ».

    L’échelle méso de circulation des normes et représentations de la ville est particulièrement intéressante dans le contexte actuel. La pandémie du COVID 19 a eu pour effet des limitations inédites de la mobilité spatiale dans le cadre de confinements et couvre-feux, en particulier dans les grandes métropoles Dans le monde entier, ces expériences ont amené à revoir les modes de vie urbains, à bousculer les attentes et les représentations. Contrairement à la circulation des individus, les échanges à distance entre les habitants des métropoles et leur entourage résidant à l’étranger se sont intensifiés, contribuant probablement à une confrontation/comparaison accrue des différentes expériences urbaines.

  • Hypothèses

    À partir de ces analyses et des résultats d’enquêtes antérieures, nous formulons les hypothèses suivantes :

    1. Les migrants contribuent à produire les villes de leur pays d’origine, par leurs investissements, mais aussi par leurs représentations et leurs pratiques de la ville : cela s’articule avec des dynamiques de transformation foncière, de spéculation immobilière, d’équipements urbains (la proximité de transports publics, de structures médicales, etc.). Il est pertinent de saisir ces questions à l’échelle des quartiers et des citadinités « ordinaires », sans se limiter à d’éventuelles politiques urbaines spécifiques, ou à des acteurs comme les « entrepreneurs immobiliers transnationaux ».
    2. Les choix résidentiels et les pratiques de la ville qui en découlent (mobilités, loisirs…) sont significatifs des ressources ou des contraintes de la ville aux yeux des migrants. Ces valorisations sont influencées par les expériences faites d’autres villes en migration, et peuvent amener à s’implanter dans des « lieux tiers » : quartiers qui ne sont pas ceux dont sont originaires les migrants et leurs familles (Lessault, 2014).
    3. Les familles ayant un lien avec la migration ont eu ou maintiennent des relations transnationales qui contribuent à la circulation de biens matériels, mais aussi de représentations et de valeurs influençant leurs pratiques quotidiennes dans les quartiers qu’elles habitent. Les représentations de la ville véhiculées par les migrants se construisent dans l’échange et la confrontation avec leurs entourages. Il est intéressant d’observer comment elles sont réappropriées ou rejetées, dans quelle mesure elles transformeront à leur tour des pratiques ou, par le conflit, viendront souligner des décalages.
  • Méthodologie

    1) Recensement des ménages ayant un lien avec la migration internationale au moyen d’un porte-à-porte avec un questionnaire court

    2) Recensement des changements physiques du quartier à partir des archives des programmes précédents :

    • Constructions d’immeubles collectifs, de nouveaux locaux d’activités ou rénovations de maisons individuelles.

    3) Entretiens approfondis auprès des ménages ayant un lien à la migration internationale :

    • Rôle des remises financières apportées par la migration dans la transformation urbaine
    • Circulations migratoires, mobilités et représentations spatiales des résidents et de leurs entourages
    • Parcours commentés et filmés dans la ville
    • Entretiens avec les membres de l’entourage résidant à l’étranger
  • Choix des quartiers d’étude

    Ciudad Jardín sur à Bogota

    Localisation : Sud-ouest du centre de Bogota, ancienne périphérie dans les années 1950

    Caractéristiques

    • Habitat individuel de classe moyenne très dégradé, subdivisé, ou réhabilité
    • Nouveaux immeubles collectifs de gamme moyenne
    • Proximité à l’hyper centre et excellente dotation en transports collectifs le rendent particulièrement attractif pour des ménages qui accepteraient de vivre dans le sud, secteur généralement stigmatisé comme pauvre et dangereux

    Lien aux circulations internationales :

    • Non spécialisé dans l’accueil de migrations internationales …
    • … mais nos observations confirment un lien du quartier avec divers champs migratoires (Espagne, le Canada, le Venezuela et l’Équateur)

    Llano Grande à Quito

    Localisation : En périphérie, au nord-est de Quito, secteur intégré tardivement à la zone métropolitaine

    Caractéristiques :

    • Diversification de la population et de l’habitat
    • Immeubles construits par des particuliers
    • Grands ensembles construits par des promoteurs
    • Grandes maisons familiales
    • Petites parcelles agricoles

    Lien aux circulations internationales :

    • Point de départ de la migration de Quito vers les États-Unis, puis l’Espagne et l’Italie
    • Investissements dans le quartier des émigrants d’origine et appropriation d’autres quartiers de la ville suite au retour d’après nos observations antérieures

L'équipe

Elle réunit des membres autour de leur connaissance des thématiques migratoires en Amérique latine, d’un intérêt commun pour les recherches sur les questions urbaines et résidentielles, et de la maîtrise de l’espagnol, mais aussi autour de trois approches disciplinaires : la géographie, la sociologie et la démographie. L’équipe collaborera avec des partenaires locaux (recherche et société civile) sur les deux terrains.

Fellows ICM :

  • Françoise DUREAU (Migrinter)
  • Pierre ELOY (Cridup)
  • Naïk MIRET (Migrinter)
  • Anna PERRAUDIN (CITERES)
  • Célio SIERRA-PAYCHA (Cridup)

Autres participants :

  • Harold CORDOBA (U. Pedagógica de Colombia)
  • Adriana GARRIDO (FLACSO Ecuador)
  • Gioconda HERRERA (FLACSO Ecuador)