POP-AWARE

Projet POP-AWARE – Virginie De Luca Barrusse, Cécile Lefevre (Université de Paris, Jacques Veron (Ined)
Sous l’égide du CRIDUP

Connaissance et perception des questions démographiques

L'enquête Connaissance et perception des questions démographiques (POP-AWARE) vise à interroger les connaissances et la perception des questions démographiques de la population générale et à prendre en considération ce qu’elles doivent à leur vulgarisation. Il s'agit de mesurer  la convergence d’opinions et d’informations qui produisent un ensemble d’idées et qui conduisent à la compréhension plus ou moins nette des faits démographiques et de leurs conséquences prévisibles.

  • Objectifs

    Le projet POPAWARE dans sa globalité vise à interroger les connaissances et les représentations des enjeux démographiques de la population générale et à prendre en considération ce qu’elles doivent à leur vulgarisation et à leur médiatisation. Nous retiendrons ici la définition des représentations qui a été celle d’un projet comparable au nôtre à savoir « un ensemble organisé d’opinions, de croyances et d’informations se référant à un objet et une situation » (Baccaini, Gani, 1997: 4). L’hypothèse sous-jacente à notre réflexion est donc que les représentations que l’on peut avoir d’un phénomène sont influencées par les informations qui circulent et les savoirs qu’on s’approprie (Baccaini, Gani, 2002: 5). De fait, il pose pour postulat l’influence de la diffusion des questions démographiques dans les médias sur les connaissances mais aussi sur les représentations associées à la population. Dans quelle mesure cette médiatisation retient-elle l’attention du public qui en est le destinataire ? Comment celui-ci s’approprie-t-il les informations qui lui sont communiquées ? L’histoire de cette médiatisation est longue, en France du moins. La singularité de la croissance démographique française depuis le milieu du XIXe siècle a en effet conduit à des interprétations qui ont trouvé des voies de diffusion multiples, livres, journaux, revues notamment (De Luca Barrusse, 2008). Cette médiatisation précoce serait à l’origine d’une « sensibilité à la chose démographique » qui caractériserait l’espace français ; sensibilité qui a entretenu depuis lors une attention particulière portée aux tendances démographiques (Rosental, 2003).

    Les efforts faits pour diffuser les outils et les analyses des démographes sont, il est vrai, remarquables en France. A partir de l’entre-deux-guerres surtout, ils résultent d’une intense mobilisation associative pour faire connaître les risques associés à la baisse de la fécondité et au vieillissement de la population (Bourdelais, 1993 ; De Luca, 2005 ; De Luca Barrusse, 2008). En France, dès sa création en 1945, l’INED se donne pour objectif la diffusion de l’information démographique. Sa revue, Population créée en 1947 en témoigne (Van de Walle, 1995 ; Girard, 1995 ; Clerc, 1995 ; Rosental, 2006). Cette même année, l’INED entreprend de sonder la population : « l’une des tâches essentielles de l’Institut National d’Etudes Démographiques est d’informer le public en matière de démographie. C’est pourquoi il parut important de mesurer aussi exactement que possible les connaissances du public, en même temps que d’analyser son comportement à l’égard des principaux problèmes de population en France » (INED, Instructions particulières, section de Psycho-sociologie, 1947). Le rôle de la section « psychosociologie » dirigée par Jean Stoetzel et à laquelle participe Alain Girard a été crucial en la matière (Rosental, 2006 ; Blondiaux, 1998 ; Huss, 1990). Ainsi, la mise à disposition des travaux des démographes est allée de pair avec l’évaluation de leur réception. Jusqu’en 1987, plusieurs enquêtes vont interroger – sous des intitulés différents - les connaissances et les opinions relatives à des questions démographiques qui mobilisent alors les démographes : niveau de la fécondité et politique familiale, vieillissement et retraite, migrations et emploi… Ces enquêtes sont représentatives de la population générale. Réalisées dans des contextes marqués par des débats sociopolitiques, elles rendent possible une historicisation des résultats obtenus qui n’a pas toujours été réalisée en son temps ; le plus souvent en effet, les analyses – rapidement publiées dans Population - se limitent à une « photographie » de la situation à la date de l’enquête. Pourtant, elles offrent la possibilité d’analyser sur le long terme les connaissances et les représentations de certains phénomènes grâce à des questions récurrentes. La mise à disposition des bases de données d’une partie de ces enquêtes par l’INED permet de les réinterroger et de compléter les analyses publiées (Stoetzel, 1983 ; Riffault, 1994).

    Ces enquêtes révèlent des lacunes et une méconnaissance -partielle toutefois- que l’INED entreprend de combler. En 1957, la création de l’IDUP, sous l’impulsion d’Alfred Sauvy, répond à la volonté de vulgariser la démographie et de diffuser ses outils au plus grand nombre. En 1968, un quatre pages, Population et Sociétés est créé par l’Institut. Ce « bulletin mensuel d’informations démographiques » économiques et sociales est confié à Pierre Longone qui, dans son premier numéro explique : « notre objet et notre désir seront d’expliquer et d’analyser dans ce bulletin les phénomènes sociaux entendus au sens le plus large, qu’ils concernent, la France, l’Europe, le monde, à la lumière des connaissances et des réalités démographiques » (Longone, 1968). Les efforts ont été continus. Plus récemment, des expositions ont été organisées. Citons par exemple l’exposition Six milliards d’Hommes qui s’est tenue au Musée de l’Homme à partir de 1994 et La population mondiale… et moi ? présentée à la Cité des Sciences et de l’Industrie en 2005 (Pison, 1994 ; 1999 ; 2000 ; 2005). Leur appréciation par les publics – notamment les savoirs acquis - a pu être étudiée (Pison, Le Jeune, 1998 ; Le Jeune, 1995 ; Le Jeune, 1996).
    Ainsi la mise à disposition des travaux des démographes est allée de pair avec une évaluation de leur réception. Mais comment se manifeste aujourd’hui la sensibilité démographique ? Afin de sonder les connaissances actuelles sur les faits et les tendances démographiques nous proposons un questionnaire qui invite à s’exprimer sur celles-ci. Que savent les individus interrogés sur la démographie nationale, européenne et mondiale ? Comment s’informent-ils ou comment sont-ils informés ? Quelles sont leurs opinions sur les tendances démographiques ? Quatre thématiques sont définies qui s’appuient sur une première analyse des questions qui trouvent prises dans les médias : le niveau de la fécondité ; le vieillissement et la politique de prise en charge de la vieillesse ; l’immigration et la politique migratoire ; la population mondiale et son devenir.

    C’est dans une perspective comparable, attentive à la circulation de l’information en démographie et à sa compréhension, que l’équipe, composée de démographes et de spécialistes de la documentation, entend poursuivre ces efforts. L’enquête par questionnaire menée auprès du panel Elipss investigue les connaissances acquises et les représentations associées aux enjeux de population aujourd’hui. A bien des égards, elle prolonge celle menée en 1996 sur la confrontation des représentations des enjeux démographiques et des savoirs acquis des élèves de terminale (Baccaini, Gani, 2002). Les fondements de cette enquête européenne sont proches de ceux qui nous mobilisent ici (Baccaini, Rossi, 1995). En effet, il s’est agi de « tester l’attention, (la) « sensibilité » à l’égard des phénomènes de population (ce que les anglo-saxons désignent par la formule expressive de « population awareness) » (Baccaini, Gani, 2002: 5). Mais cette enquête cible une public spécifique : les élèves de terminale. Le questionnaire a été adressé à 2286 d’entre eux et a permis d’apprécier le degré de leurs connaissances sur la démographie de la France et du monde ou encore de tester leur compréhension de la dynamique de la population. Des questions rendent compte des opinions à l’égard des tendances démographiques nationale et internationale et de la politique qu’il s’agirait d’avoir en la matière (Baccaïni, Gani, 1997, 1999).  

    Dans son esprit, notre projet est comparable mais il s’intéresse à la population générale dont le panel Ellipss nous permet de rendre compte. Le questionnaire permet de déterminer quelles sont les connaissances acquises sur la démographie (française, européenne et mondiale), sur les tendances observées et les représentations des enjeux démographiques contemporains. Mais on invite aussi les individus à énoncer les vecteurs de l’information démographique : où se sont-ils informés ? Par qui et comment l’information démographique est-elle transmise ? Les individus approuvent-ils les tendances démographiques actuelles ? Si non quelles corrections et quelles recommandations proposent-ils ? Quel est leur idéal démographique ? Quelles sont leurs aspirations en matière d’évolution démographique ? Quelles sont les influences – politiques, religieuses, en matière de position sociale ou de niveau d’instruction notamment – qui sont liées aux positions prises et aux valeurs accordées aux questions de population ?  

    En définitive, l’enquête interroge les connaissances et représentations des questions démographiques. Elle vise à montrer comment les individus sont outillés pour se forger une opinion sur ces questions et comment ils l’expriment.

     

  • Résultats attendus

    A l’instar d’auteurs qui se sont penchés sur les débats publics relatifs à des questions démographiques, nous considérons que la cartographie des connaissances et des  représentations permet aux démographes de mieux répondre aux questions posées par les profanes (Stark, Kohler, 2003 : 536). En effet, elles reflètent des interrogations, des méconnaissances parfois auxquelles le démographe doit répondre. En outre, l’enquête doit permettre de comprendre quelles sont les attentes de la population en matière de modification des tendances démographiques. Là encore, le démographe peut être amené à indiquer des effets possibles des mesures préconisées, soulignant par exemple des interactions entre des phénomènes démographiques. L’INED a régulièrement été consulté pour évaluer des effets possibles de modifications législatives, montrant en particulier des conséquences à plusieurs échelles. En somme, notre enquête donne sa place au démographe dans les débats publics, l’analyse historique offrant un panorama d’interventions possibles.  

    Enfin, les attendus de notre enquête par questionnaire devraient confirmer les résultats de celle menée en 1996 par Brigitte Baccaïni et Léon Gani qui montre que le niveau d’information et de compréhension des phénomènes démographiques influence les représentations collectives à l’égard des enjeux de population (Baccaini, Gani, 2002). S’agissant des migrations par exemple, l’enquête montre qu’ « une mauvaise estimation de l’ampleur et de la nature des migrations semble contribuer à l’expression d’opinions restrictives et de stéréotypes négatifs concernant les populations immigrées.  Mais on peut aussi raisonnablement penser que la surestimation de l’effectif des immigrés en France peut découler de ces opinions, les représentations d’un phénomène que l’on redoute étant souvent déformées et amplifiées» (Baccaini, Gani, 1999: 152-153). Dans un autre domaine, celui du vieillissement de la population, l’enquête montre également que « les jeunes les moins « armés » en terme de connaissances sur la population sont également ceux qui déclarent les opinions les plus négativement connotées à l’égard des personnes âgées » (Baccaïni, Gani, 1997: 1109). Sans doute notre enquête devrait-elle conforter ces premiers résultats. Elle invitera à prolonger la réflexion sur cette « culture socio-démographique de base » qu’appelait de ses vœux Léon Gani qui permettrait d’intégrer « de manière critique, les informations sur la population (…), de reconsidérer certains stéréotypes et de contribuer ainsi à l’émergence d’un nouveau civisme » (Baccaini, Gani, 1999: 155).

    C’est à cette attention portée aux questions démographiques, aux formes qu’elle prend et à ce qu’elle produit que nous nous intéressons ici.